6 Avril 2018
A tous ceux qui n'aiment pas le style d'Abdellatif Kechiche, n'allez pas voir Mektoub my Love : Canto Uno. On y retrouve ce qui a fait l'essence du réalisateur, le Sète de La Graine et le mulet mais surtout la découverte amoureuse et sexuelle de La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2. Il ne faut d'ailleurs pas attendre longtemps pour voir une scène de sexe, la seule du film toutefois. Et puis Kechiche à cette manière à lui de tout rendre sexuel, jusqu'à la dégustation de fraises qui a de quoi rendre fou tous ceux qui n'aiment pas les bruits de bouche. Il y a aussi sa façon de filmer des fessiers féminins qui a divisée, d'aucuns y voyant un contre-emploi aux revendications levées ces derniers mois contre les regards et gestes déplacés. Je vous laisse juger de par vous-mêmes. Celui qui est également le scénariste des films qu'il réalise nous offre une nouvelle fois un film long - 2h55 soit deux minutes de moins que La Vie d'Adèle - Chapitre 1 et 2 -, néanmoins, il ne laisse jamais place à l'ennui. On ne peut que saluer.
Abdellatif Kechiche a un mérite non négligeable, c'est un dénicheur de talent. Sara Forestier, Hafsia Herzi - présente dans sa nouvelle création - et Adèle Exarchopoulos, toutes trois César du Meilleur espoir féminin et aux carrières fournies témoignerons. Pour Mektoub my Love : Canto Uno, le réalisateur a fait confiance a des jeunes inexpérimentés. Shaïn Boumedine (Amin), Ophélie Bau (Ophélie) et Lou Luttiau (Céline) ont découvert le cinéma avec Abdellatif Kechiche. Alexia Chardard (Charlotte) n'avait, elle, qu'une participation à un épisode de la série Contact pour expérience. Mais ils ont tous relevé le défi avec brio, épaulé par des acteurs plus expérimentés comme Hafsia Herzi (Camélia) - citée plus tôt - ou encore Salim Kechiouche (Tony) - qui a collaboré avec Kechiche sur La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2. Faire confiance à des acteurs sans pedigree est devenu tellement rare ces derniers temps - business oblige - que l'on en viendrait presque à remercier celui qui fut lui-même acteur pour cela.
Le film parle de l'amour, d'un amour de vacances, d'un amour de jeunesse, d'un amour inavoué dans un milieu des années 90 décomplexé. L'amour hétérosexuel, pansexuel mais aussi asexuel. Une palette assez inhabituelle dans un monde cinématographique qui peine à sortir du carcan bipolaire des seules hétéro- et homosexualité. Les personnages sont liés par le "mektoub" - destin en arabe - qui fait et défait ce qu'il a créé. Les alliés d'aujourd'hui peuvent devenir les ennemis de demain, les amants d'un jour les inconnus d'un autre. Le personnage principal - Amin - semble spectateur et en même temps point central de ce mektoub commun. Quand les autres vivent l'exubérance, lui se tient en retrait et, lorsque l'un des membres du groupe s'écarte, c'est de celui-ci qu'il se rapproche. Au milieu de ses cousins et amis qui ne voient les femmes que comme des conquêtes et des corps, Amin leur voue une sorte de fascination. Ce personnage a cela de Pedro Almodóvar que le regard qu'il porte sur les femmes va en révéler toute la beauté intérieure et cette force - parfois insoupçonnée - qui les anime. Amin a une simplicité - presque naïve - touchante. Tout semble plus doux avec lui. Jusqu'à la mise à bas d'une brebis, dans une scène qui en devient belle sous la caméra d'Abdellatif Kechiche. Le réalisateur se permet même de nous mettre dans l'attente d'une suite, avec une fin qui rebat les cartes précédemment distribuées.
Mais mieux vaut ne pas être pressé. Depuis son premier film - La Faute à Voltaire - en 2000, Abdellatif Kechiche n'a sorti que cinq films, tous des succès qui lui ont valu de nombreuses récompenses. Sa rareté est une force. Prendre le temps de créer ne peut être négatif.
Sont également sortis le 21 mars : La Finale de Robin Sykes, Pacific Rim Uprising de Steven S. DeKnight, La Prière de Cédric Kahn, Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra, Willy et les gardiens du lac (saison Printemps-Été) de Zsolt Pálfi, Après La Guerre de Annarita Zambrano, The Captain - L'usurpateur de Robert Schwentke, 9 Doigts de François-Jacques Ossang, Vincent et moi de Édouard Cuel et Gaël Breton, Auzat l'Auvergnat de Arnaud Fournier Montgieux, Demons in Paradise de Jude Ratnam, Dokhtar de Reza Mirkarimi, Pas comme lui de Franck Llopis, Prochain arrêt : Utopia de Apostolos Karakasis et Serge Pey et la boîte aux lettres du cimetière de Francis Fourcou.